Ce sont des mondes qui, a priori, ne font pas bon ménage. L’image du lecteur coïncide rarement avec celle de l’homme en short, bien qu’on ai voulu nous faire croire que les grands sportifs savaient aussi lire. Et Coubertin le premier, qui a cru bon d’écrire : « Ceux qui ne connaissent le football qu’en spectateurs se rendent difficilement compte de l’effort intellectuel au prix duquel son plus haut degré de perfection peut être atteint » (Pédagogie Sportive) et il est vrai, on s’en rend difficilement compte. Je ne nie pas la réflexion de jeu, les réflexes, la construction tactique, mais de là à parler d’effort intellectuel ? Passons.
Quant aux écrivains, bien que Mauriac et Peguy aimaient à sauter en hauteur (pour atteindre Dieu ?) et que certains universitaires de renom, dont Jean-François Louette, pratiquent à s’en tordre les chevilles le ballon rond du dimanche, il ne semble pas que leur image et leur vie soient adaptées aux mouvements du sport : on peut certes penser en suant, mais écrire ? Pour ma part, je m’en tiendrai à la célèbre réplique de Sir Winston Churchill à qui l’on demandait comment il faisait pour être en parfaite santé, malgré son âge et son usage immodéré de l’alcool et du tabac : « Absolutly no sport ».
Quoi qu’il en soit, il se peut rencontrer de temps à autre un écrivain qui fasse du sport, et en l’occurrence du football, le sujet de son texte, mais si l’on veut que je fasse ici l’éloge de Daniel Picouly, ce sera non, les autres s’en chargent assez. Passons maintenant à la littérature.
Le sport peut être considéré sous de nombreux angles, nous en retiendrons deux, qui ont le mérite de s’opposer et d’être d’auteurs reconnus. Et puis, deux, c’est toujours plus simple pour établir une comparaison.
A ma droite, si je puis dire, Les Olympiques de Montherlant, recueil poétique à la gloire du sport, et notamment du football. A ma gauche, W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec, texte hybride entre souvenirs personnels et fiction.
L’approche de Montherlant est, dirait-on, naïve, puisqu’il considère le sport comme les Grecs eux-mêmes, c’est-à-dire la contrepartie nécessaire à l’esprit sain. Il place d’ailleurs ses textes sous l’hospice de Zeus Philios, dieu de l’amitié, partant du principe que la pratique des sports collectifs éveille la camaraderie, l’amitié entre les hommes, les peuples, et qu’il n’y aura plus de guerre, etc. Lui-même pratiquait le cent-mètres plat (onze secondes quatre cinquième, en 1915) ainsi que la tauromachie. Les Olympiques sont donc une apologie de la découverte des valeurs humaines, la première étant la confrontation d’avec la réalité, dont le centre, le cœur, le paradis même, c’est le stade. Entrer dans le stade, c’est franchir la porte dorée, accéder à une réalité supérieure où l’on transcende son être même. Il y a une mystique du sport.
Comme la peinture, qui au temps des impressionnistes sortit voir ce qui se passait hors des ateliers, Montherlant nous convie à sortir « de la chambre où venait de mourir Proust », selon le mot de Paul Souday. C’est donc une rupture avec toute une tradition littéraire et culturelle qu’il nous propose, rupture qui se lit aussi dans le style. Entre poésie et jargon d’adolescents de « l’assoce », Montherlant célèbre la simplicité même résultant de contacts francs et amicaux entre le fils de la bourgeoisie et celui du peuple. Les barrières sociales et culturelles disparaissent, et tous sont égaux devant le ballon. C’est le nivellement par le crampon.
Le récit est proprement ennuyeux et passé de mode, tant la bonne volonté écrase la prose. C’est une démonstration, non un poème. A vouloir trop en dire, et briser en de trop nombreux morceaux le cadre strict de l’écrit poétique — en rupture sans doute avec son milieu et son éducation — Montherlant ne parvient qu’à engendrer une petite misère littéraire que l’on ne lit plus aujourd’hui. A contrario, Les Olympiques recèlent de très beaux textes, dont Vesper, où l’olympisme fait l’éveil de l’humanité profonde en chacun. Mais il n’est alors plus du tout question de football. C’est à croire que ce sport ne peut rassembler sur son image que la médiocrité au sens propre, sans transcendance aucune, sans poésie.
A l’émoi naïf, voire un peu niais, de Montherlant, nous préférons le texte plus difficile, mais magnifique, de Perec. Il termine W au même moment que sa cure psychanalytique, et d’aucun y verraient sans doute un indice. En effet, W relate les faits d’enfance de Perec, transporté en vacances forcées dans le Vercors pour échapper au sort de ses parents et de milliers d’autres Juifs Français âprement recherchés par les milices de Vichy. Voilà donc un récit de souvenirs sombres et imprécis, d’une période pour le moins troublée de notre histoire. Ces récits sont entrecoupés d’une fantasmagorie relative à une île perdue où tout serait organisé autour du sport : les couples, les lois, la survie de chacun, les naissances… Tant et si bien que Perec parvient à nous faire pénétrer les rouages d’une société totalitaire, celle-là même qui est à l’origine de ses souvenirs d’enfance. Car la loi du sport est sévère, et quiconque s’y soustrait est par là même condamné. Vivre sur l’île du sport, lieu clos et lointain, c’est être condamné aux rigueurs d’un régime qui écrase l’homme par l’absurdité de ses mécanismes même. Il faudrait imaginer une société issue des camps de concentration, et qui y demeurerait toujours, les familles de faisant, les naissances, le travail…